Aumônier général des armées, Haïm Korsia est, depuis le 22 juin le nouveau grand rabbin de France. Moins «orthodoxe» que ses prédécesseurs, il insiste toujours sur la place de la communauté juive dans une France républicaine. Pour la première fois depuis les attaques contre deux synagogues par des manifestants propalestiniens, à Paris, dimanche, il revient sur ces événements.

Que s’est-il passé dimanche en fin d’après-midi à Paris dans le quartier de la Bastille ?

Au moment de la dissolution de la manif propalestinienne autour de la Bastille, des groupes de manifestants ont voulu converger vers la synagogue de la rue des Tournelles, et les forces de police les en ont empêchés. Ils sont allés ensuite à la synagogue de la rue de la Roquette pour l’attaquer avec une grande violence. Le temps que la police arrive, le premier choc a été encaissé par les services de protection de la communauté. Quand les forces de l’ordre sont arrivées, elles ont encerclé la synagogue, pour que les gens ne sortent pas, pour ne pas les livrer à une foule très dangereuse. La situation était très traumatisante, vraiment traumatisante pour ceux qui étaient à l’extérieur et à l’intérieur, pour les amis, pour la famille. Il est très traumatisant de devoir être enfermé pour ne pas être soumis à la vindicte d’une foule complètement hystérique et dangereuse. Un ancien, âgé de 90 ans, m’a confié, les larmes aux yeux, que cela lui rappelait la Nuit de cristal…

Personne ne s’attendait à une telle violence à Paris…

Oui, et dans notre société on ne peut tolérer qu’une partie de la population soit ainsi attaquée. Une fois de plus ce sont les juifs qui sont l’objet d’une haine profonde, mais ne soyons pas dupes du prétexte géopolitique : l’antisionisme a les mêmes habits que l’antisémitisme. Ce sont les mêmes mots de haine qu’on a entendus dans la manifestation. Il y a eu des slogans insupportables, inqualifiables, il faut oser le dire. Je crois qu’il faut dire les choses sinon c’est l’ensemble du système qui constitue la société française qui s’écroule. C’est une haine de la France, une haine du vivre ensemble.

Qu'est-ce qu'on n’ose pas dire ?

Qu’il y a une haine des juifs en France. Tant qu’on n’accepte pas de le dire, alors on est dans une idée léthargique de la société, «tout va bien, ça pourrait aller mieux…» Mais si on fait le diagnostic, alors on peut mettre en route des mesures de formation de la jeunesse, un contrôle de ce qui est diffusé sur les réseaux sociaux et les satellites, qui arrive du monde entier et qui diffuse la haine. Il y a une part de la population, une petite part heureusement, qui a une haine des juifs qu’elle habille des oripeaux de l’antisionisme. Dans cette manifestation, on a entendu «A mort les juifs !», «Les juifs dehors» et ce n’est pas la première fois qu’on entend ces slogans insupportables à Paris et ailleurs. Je voudrais rappeler que ce week-end il y a eu une attaque de jeunes hurlant des slogans antisémites contre la synagogue d’Asnières et des cocktails Molotov lancés contre la synagogue d’Aulnay-sous-Bois.

Des attaques que vous séparez du conflit au Moyen-Orient ?

Absolument. Lundi soir, par exemple, au journal d’une grande chaîne de télé, après les sujets nationaux, on a eu des sujets internationaux, des reportages à Gaza, et, dans la foulée, comme un corollaire de Gaza, on continue sur ce qui s’est passé à la synagogue de la Roquette. Pour moi c’est une grave erreur. La haine qui s’exprime n’est pas liée à ce qui se passe à Gaza. Si c’était vraiment lié à l’actualité internationale, on aurait vu des gens manifester à Paris contre ce qui se passe en Syrie ou des massacres de populations dans le monde. Mais non, ce qui s’exprime c’est l’obsession anti-israélienne et antisémite. Une haine qui se manifeste au quotidien même quand il n’y a pas de guerre : des jeunes juifs sont frappés dans le métro, dans la rue…

Rassurant, vous avez toujours dit : «Oui, il y a un avenir pour les juifs en France», répondant aux inquiétudes de votre communauté…

Je continue à le dire mais cette certitude doit être partagée par tout le monde. C’est ce que j’ai perçu dans les paroles des pouvoirs publics, leur condamnation ferme, sans équivoque. Les mots très clairs du président de la République, du Premier ministre, de la maire de Paris, du ministre de l’Intérieur. Nous avons eu une réunion lundi au ministère de l’Intérieur qui va renforcer encore la sécurité des lieux de culte, et faire en sorte que les manifestations soient autorisées uniquement quand il n’y a aucun risque de trouble à l’ordre public. C’est du bon sens parce qu’on ne peut pas permettre que, pour défendre quelque chose, on fracasse ce qui est la notion de vivre ensemble dans une société comme la France. A travers la haine contre les juifs, les pouvoirs publics se rendent bien compte qu’il y a un risque majeur de rupture du pacte républicain, de ce qu’est la France. Ils ont pris la mesure de la gravité des événements. Donc c’est bien une préoccupation nationale.

S’il y a un cessez-le-feu au Proche-Orient dans les jours qui viennent, la tension sera moins forte ?

Attention, moi je n’ai rien à dire sur ce qui se passe en Israël parce que je trouve que c’est grave de lier les deux comme l’a fait, par exemple, un élu Vert. C’est très dangereux. On excuse à l’avance les agressions en disant : «Bon, c’est normal vu ce qui se passe…» Je trouve qu’on prend le risque de légitimer la haine chez des esprits faibles. Il est clair qu’il y a une haine antisémite qui s’exprime de manière violente ou, de manière moins violente, qui existe comme une sorte de bruit de fond, qu’on finit presque par tolérer dans la société. Or c’est l’ensemble du corps social qui doit se dresser contre cette haine et pas seulement les juifs. Parce que le rêve qu’incarne la France doit être partagé par tous.