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Friday 6 September 2013

Les Syriens vivent sous la terreur des « rebelles »

Manuel Ochsenreiter est reporter et rédacteur en chef du mensuel « Zuerst ! » (« D’abord ! ») qui se définit comme « le magazine des intérêts allemands ». On pourrait classer ce journal quelque part entre « Minute », « Valeurs actuelles » et « Éléments ». Il a effectué cette année plusieurs reportages en Syrie (à gauche sur la photo en Une). Revenant de Damas quelques jours avant les accusations d’attaque chimique par le régime de Bachar El-Assad, il nous livre un témoignage particulièrement intéressant. Et Manuel Ochsenreiter n’a manifestement pas vu les mêmes choses que nos nombreux confrères qui savent tout… sans y avoir mis un pied.

Minute : Vous étiez encore il y a quelques semaines à Damas. Que pouvez-vous nous dire de l’ambiance générale ? Comment la population vit-elle le conflit ?

Manuel Ochsenreiter : La situation générale paraît assez stable, en tout cas bien plus stable que ce que la plupart de nos médias rapportent. Les habitants de Damas vivent leurs vies et continuent d’aller travailler par exemple. Mais ils font tout cela sous la menace permanente des violences, des crimes et de la guerre.

A Damas, vous pouvez en tendre les bruits de la guerre au loin. Il y a des affrontements dans plusieurs banlieues de la capitale syrienne. Parfois un obus de mortier tombe quelque part dans la ville, en général dans un quartier chrétien ou un secteur où vivent des Alaouites. Les « rebelles » s’efforcent de maintenir ces zones sous le feu des bombes. Dans la nuit, on peut parfois entendre des accrochages ou des tirs de mitrailleuse. Ce la arrive surtout lorsqu’ils tentent d’entrer dans la ville et attaquent des check-points de l’armée syrienne.

Mais à Damas ce qui semble encore plus dramatique que la guerre elle-même, ce sont ses effets collatéraux, avec le développement de la criminalité et en particulier des enlèvements. Les bandes locales de criminels profitent de la guerre dans le pays pour kidnapper des gens. Ils « revendent » ensuite leurs victimes aux groupes rebelles qui essaient d’en tirer profit auprès des proches. Parfois les personnes kidnappées sont relâchées… et parfois elles disparaissent.

Les habitants de Damas sont terrorisés par cette situation. Quasiment tous mes amis ou collègues syriens ont au moins une histoire d’enlèvement dans leur famille ou leur entourage. J’ai eu l’occasion de parler avec un homme qui avait été enlevé par des terroristes et son histoire était déchirante. Il a passé plus de trois semaines entre les mains d’un groupe criminel islamiste se con sidérant comme « l’opposition armée » au pouvoir. Les fameux amis de l’Occident l’avaient kidnappé uniquement pour obtenir une rançon, sans aucun autre motif politique. Il y a des régions de Syrie où cette situation est encore pire, mais là-dessus vous n’entendrez pas de protestations chez les politiciens occidentaux.

« L’Armée syrienne libre n’existe pas ! » :
Que voulez-vous dire ?

Les habitants d’Alep souffrent du siège imposé par la prétendue « opposition ». Les terroristes ont établi un« blocus de la faim » autour de la ville et ce sont deux millions de civils qui souffrent sous leur joug. Les habitants qui essaient de fuir se font tirer dessus, des bus sont attaqués et – là aussi – des gens sont enlevés. La route pour sortir d’Alep est devenue une véritable route pour l’enfer. Dans la ville d’Al-Raqqa, les « rebelles » ont établi une sorte de petit Etat islamiste et font vivre les habitants dans la terreur.

A Damas, on nomme Al-Raqqa « little Kandahar » (en référence à la capitale spirituelle des talibans d’Afghanistan). Il y a quelques semaines, un massacre de Kurdes y a été perpétré : près de 450 personnes, parmi lesquelles des femmes et des enfants, ont été massacrées par des combattants islamistes. Dans le secteur autour de Latakia, les islamistes ont attaqué plusieurs villages et tué des centaines de civils. Le camp occidental continue de se taire. Manifestement, ni Washington, ni Paris, ni Londres ne voient de raisons de freiner leurs amis armés qui – eux – mènent la guerre au peuple syrien.

Avez-vous rencontré des hommes de l’Armée syrienne libre ? Comment est-elle organisée ?

Non, je n’ai pas rencontré de combattants de l’ASL. Mais votre question illustre parfaitement la façon dont l’opinion occidentale perçoit la situation sur le terrain syrien. Nos politiciens et médias traditionnels nous donnent l’impression qu’il y aurait les rebelles « gentils et modérés », avec l’Armée syrienne libre, et les rebelles « méchants et extrémistes », les groupes de combattants islamistes liés à Al-Qaida. La logique occidentale devient donc : « Nous devons armer l’ASL pour qu’elle domine le champ de bataille. » Mais cette idée ne peut pas fonctionner.

« Je n’ai pas vu l’ombre d’un graffiti réclamant la démocratie » :
Pourquoi ?

Parce que l’Armée syrienne libre n’existe pas ! Nous sommes simplement face à des milices utilisant ce label « ASL », mais le terme d’armée est faux : il n’y a aucune structure ni hiérarchie. Même les communiqués de presse de la fameuse ASL se contredisent. J’ai parlé à de nombreux témoins de la guerre, à des réfugiés et à des soldats de l’armée syrienne régulière. Tous rapportent la même chose : sur le terrain les unités de l’ASL et les « extrémistes » coopèrent étroitement. Des groupes de l’ASL recevant des armes des Etats étrangers n’hésitent pas à les revendre à des extrémistes comme le Front Al-Nosra. Dans des zones contrôlées par l’ASL, ces groupes « modérés » installent des tribunaux coraniques, jugent selon la charia et n’hésitent pas à persécuter les chrétiens, les alaouites, les chiites et même les sunnites jugés désobéissants. Les unités de l’Armée syrienne libre se comportent avec la même agressivité et le même sectarisme que les « extrémistes ».

A Damas, j’ai rencontré des réfugiés qui étaient pourtant des sunnites conservateurs. Ils avaient fui des zones contrôlées par les rebelles. La population fuit ces zones que l’on nous présente pourtant ici comme « libérées » pour rejoindre des secteurs sous contrôle gouvernemental, c’est-à-dire « dictatorial » selon le vocabulaire employé en Occident.

Le commandant rebelle que l’on a vu dévorer les organes d’un soldat syrien était un « modéré », pas un « extrémiste »… Après avoir coupé le foie et le cœur sur le cadavre, il a été filmé en tenant les organes dans sa main et s’est adressé à la caméra : « Je jure devant Allah que nous allons manger vos cœurs et vos foies, vous les soldats de Bachar le chien. »

Une brigade s’appelle « Brigade Oussama Ben Laden », elle appartient au bataillon « Souqour Dimashq » (« les faucons de Damas ») de l’Armée syrienne libre.

La vérité est simple, peut-être trop simple pour que nos médias traditionnels la relaient : vous ne pouvez pas livrer des armes en Syrie et prétendre que ces armes ne seront utilisées que « pour la bonne cause ». Si vous prétendez cela, alors vous êtes soit un crétin, soit un menteur, soit les deux à la fois.

Quand j’ai visité des secteurs contrôlés par l’ASL, je n’ai pas vu l’ombre d’un graffiti réclamant la démocratie, la liberté, ou les droits de l’homme. Au lieu de ça, tous les graffitis de l’ASL « informaient » la population sur l’identité des « chiens » : les chrétiens, les alaouites, le président Al-Assad et son épouse Asma et, en fait, tous ceux qui n’embrassaient pas la « révolution ». A côté de ces slogans était peinturluré le drapeau rebelle noir-blanc-vert et ses trois étoiles rouges. Ce sont ces zones que les habitants fuient pour rejoindre celles qui sont sous contrôle de l’armée syrienne. Là encore, les médias occidentaux ont omis d’en parler.

Des terroristes venant de plus de 25 pays !
Dans plusieurs entretiens et articles, vous avez parlé de « guerre par procuration » en Syrie. Il ne s’agit donc pas pour vous d’une révolution ou a minima d’une guerre civile ?

C’est l’un des points cruciaux. Jusqu’ici, les médias occidentaux évoquent une « guerre civile » faisant rage en Syrie. Les politiciens de leur côté parlent de l’armée syrienne – « les forces d’Assad » comme ils l’appellent – faisant la guerre « contre la population ». Mais la réalité est très différente.

Des milliers de mercenaires et de djihadistes venant du monde entier combattent l’armée syrienne régulière. Des terroristes venant de plus de 25 nations sont actifs en Syrie ! Les autorités de l’Union européenne estiment que plus de 1 000 combattants viennent de pays de l’Union et plus de 100 terroristes arrivés d’Allemagne se battent actuellement en Syrie [Ndlr : les chiffres sont sensiblement les mêmes pour la France comme l’a confirmé Manuel Valls sur Europe 1 dimanche]. A Alep, ce sont des djihadistes tchétchènes qui sont à l’œuvre.

En juillet, les talibans afghans ont annoncé que leurs soldats venaient d’arriver en Syrie. Lorsque j’ai visité des soldats blessés à l’hôpital militaire de Damas l’an dernier, ils me disaient : « Le monde entier nous combat ! » Et ces mêmes soldats m’ont évoqué des insurgés ne parlant même pas arabe.

Nous ne devons pas oublier ce point important : les insurgés ne respectent généralement aucune loi dans la guerre. Par définition, ce sont des criminels. Ils tuent, torturent et terrorisent les populations. Même la pire des armées régulières possède des ressorts et des mécanis mes pour freiner les criminels de guerre dans ses propres rangs. Des standards sont fixés quant au sort des prisonniers ou à la préservation des civils et de leurs biens. Mais aucun mécanisme de cette sorte n’existe dans des groupes comme ces milices liées à Al-Qaïda. Ce sont les « bulldozers » de la guerre, et les pays qui les soutiennent peuvent ainsi se présenter comme « innocents ».

Venons-en au sujet brûlant :
Pensez-vous que le régime de Bachar El-Assad soit à l’origine des attaques chimiques qu’on lui reproche ?

Les Syriens vivent sous la terreur des « rebelles » ! Manuel Ochsenreiter, reporter

Diversion

Ces allégations sont profondément discutables. L’utilisation d’armes chimiques ne présenterait aucun bénéfice militaire ou politique pour l’armée syrienne. C’est en revanche dans l’intérêt des forces « rebelles » et de tous ceux qui espèrent une intervention pouvant faire avancer leur combat contre le pouvoir.

J’ai suivi la conférence de presse de John Kerry au cours de laquelle il a annoncé détenir la « preuve » que le gouvernement syrien avait perpétré cette attaque chimique. J’ai lu en détails le document « Rapport du gouvernement des Etats-Unis sur l’utilisation par le gouvernement syrien d’armes chimiques le 21 août 2013 ». Vous pouvez le lire en cinq minutes, le document fait quatre pages. Je suis rédacteur en chef d’un magazine : si un auteur osait entrer dans mon bureau avec un article de ce genre, je serais forcé de lui demander s’il ne s’est pas trompé de métier ! Ce rapport est ridicule.

Celui qui prétend trouver dans celui-ci la preuve d’une attaque chimique par le gouvernement syrien la trouverait alors tout autant dans le manuel d’une machine à laver.

Propos recueillis par Lionel Humbert

Article de l’hebdomadaire “Minute” du 4 septembre 2013 reproduit avec son aimable autorisation. Minute disponible en kiosque ou sur Internet.

Les Syriens vivent sous la terreur des « rebelles » ! Manuel Ochsenreiter, reporter

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