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Sunday 1 September 2013

Algerie, Le douloureux réveil de Bordj Badji Mokhtar

Des dizaines de morts, des blessés graves, des magasins pillés et une ville quadrillée par les forces de sécurité. El Watan Week-end s’est rendu sur place pour tenter de comprendre ce qui a poussé deux communautés voisines à la violence.

Algerian soldiers secure the airport in Ain Amenas, Algeria, before the departure of freed hostages. File photo

Un reflet intrigant luit sur le sable qui tapisse une rue de la ville, plongée dans l’obscurité. Les maisons en toub (pisée) ou en parpaing, d’un seul niveau, semblent désertes et seuls les mouvements discrets de jeunes sur les toits, aux aguets, témoignent d’une occupation des lieux. Le silence est pesant, loin des grands axes de Bordj, où des gendarmes antiémeute, à bout de nerfs, montent la garde, matraque au pied et la mine défaite par la fatigue et l’insoutenable chaleur. Une chaleur que ne vient remplacer, le soir, que le sirocco qui a fini par balayer l’odeur âcre des gaz lacrymogènes et la fumée des commerces et des maisons incendiés. L’objet qui se reflète faiblement à la lumière de la mini-torche du téléphone portable est une lame de couteau d’une trentaine de centimètres, avec un manche en cuir, plantée là, au milieu du chemin de sable, de cailloux et jonché de détritus, censé être une rue. «Souvent, les assaillants lançaient des couteaux sur leurs ennemis depuis les toits des maisons», explique Omar, jeune universitaire de BBM.

Lui et ses proches ont tout perdu après un violent cambriolage. Ses voisins ont eu moins de chance encore : des jeunes ont incendié leur maison et le commerce y attenant. Dans les rues de la ville qui ne s’endort que d’un œil, le calme est précaire. Seuls les rares magasins «neutres», n’appartenant ni à des Touareg ni à des Barabiches, et qui ont donc échappé à la flambée de violence, ont pu rouvrir depuis mardi soir. «Mais on n’y trouve pas grand-chose avec la grève des camionneurs et les derniers événements ! Il n’y a plus de lait pour les bébés et la boîte de lait en poudre est à 1000 DA», soupire Omar dont la famille a trouvé refuge chez un oncle qui a la chance d’habiter un quartier purement targui, donc protégé de toute attaque. Là, des barricades de fortune ont été improvisées à l’aide de barils vides et de barres de fer coupant des chemins défoncés. Même technique du côté des Barabiches.

1000 DA la boîte de lait

«En fait, les attaques les plus violentes ont eu lieu dans les rues et quartiers mixtes (présence de Touareg et de Barabiches) et peu dans des quartiers purement communautaires, explique un jeune élu local, car ces derniers restaient difficiles d’accès pour les autres belligérants.» «Nous avons passé des nuits horribles à repousser des voyous qui voulaient incendier la maison de notre voisin. Il se trouve que c’est un Targui, vivant dans un quartier à majorité arabe, mais c’est mon voisin, je n’ai jamais eu un seul problème avec lui, depuis trente ans qu’on vit côte à côte», témoigne Ahmed, commerçant et père de famille arabe. «Les premières heures, les gendarmes étaient dépassés. Ils n’étaient pas nombreux face aux jeunes qui cassaient tout, se déplaçant d’une rue à une autre, saccageant, brûlant, volant... Ce sont les pires heures qu’a connues cette ville», raconte Mabrouk, un jeune fonctionnaire qui a monté, avec d’autres jeunes, une cellule de crise lors des dernières violences. Ils sont Touareg, Barabiches ou autre, une identité dont «ils ne parlaient jamais».

«Ce n’était pas important ou rarement, lors de discussions ou des tensions concernant le Nord-Mali, pas plus», assure un autre membre de cette cellule de crise improvisée en toute hâte la semaine dernière. Organisés, ils montrent une liste de noms aux côtés desquels sont inscrits des numéros de téléphone. «Des personnes à contacter dans chaque quartier pour évaluer la situation, se coordonner pour apporter de l’aide ou alerter les services de sécurité. En tant que jeunes instruits, on ne pouvait pas laisser les extrémistes et les voyous des deux bords mener le jeu et nous plonger dans le chaos», explique Nassredine, jeune élu de Timiaouine (150 km de BBM), membre de l’Association algérienne pour la citoyenneté et les droits de l’homme. En véritable geek, il reste scotché à son écran d’ordinateur portable, scrutant les forums et facebook, les dernières mises à jour des sites d’information, pour réagir, démentir ou préciser les informations sur BBM. «Nous avons annulé notre marche prévue hier pour la réconciliation et dénoncer la violence car les choses s’améliorent. Le wali a aussi pris en considération nos revendications pour une meilleure couverture sécuritaire de la ville», explique encore Mabrouk.

Algeria

Connivence

D’ailleurs, leur proposition de limiter la circulation des véhicules la nuit durant ces derniers jours de calme fragile a été déjà appliquée par la gendarmerie. «BBM est la seule agglomération sans sûreté de daïra. Le tribunal ici ne s’occupe que des affaires administratives, la prison n’est toujours pas inaugurée et il existe une trop grande connivence entre certaines autorités locales et les notables de la ville», renchérit un autre membre de l’initiative des jeunes de BBM. «L’ANP fait un travail remarquable le long des frontières, mais il est dangereux de laisser des poches d’insécurité comme c’est le cas de Bordj. Le Mali est à moins de 20 km et Bordj est devenue numéro 1 dans l’exportation des psychotropes et des drogues en tous genres», appuie Nassredine. «Depuis trois jours, les choses se tassent, mais ce n’est que provisoire tant que l’Etat ne cherche pas à neutraliser les barons de la drogue et de la contrebande. Il ne suffit pas de calmer la situation en réunissant quelques notables qui veulent se montrer à la télévision, psalmodiant le Coran et donnant l’accolade.

Cela ne suffit pas», souligne un jeune universitaire. «Il faut que l’Etat soit fort et juste, et surtout, il doit lancer un message clair aux différentes parties au Nord-Mali qui interfèrent dans nos affaires ici», s’énerve Ahmed, jeune cadre dans une entreprise publique. Il évoque la demande formulée mercredi par le Mouvement de libération de l’Azawad (MNLA), le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) et le Haut-Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), d’ouverture d’une enquête par l’Algérie sur les événements de Bordj. Hier matin, les familles réfugiées dans le grand désert au sud de Bordj ont commencé à regagner leur domicile. Hommes, femmes et enfants en bas âge réfugiés à l’ombre des camions des routiers à côté de la brigade de gendarmerie ont quitté leurs abris de fortune pour regagner le centre-ville. «La fitna dort, et Dieu maudit celui qui la réveille, prévient un cadre local. Cette semaine, Dieu a maudit beaucoup de personnes à Bordj Badji Mokhtar.»

Reggane, si loin, si proche

Dès que la torride chaleur du mois d’août, avec des pics de 45°C, laisse place à un léger sirocco balayant Reggane, petite bourgade à l’orée du terrible désert du Tanezrouft, les rues et les terrasses des cafés commencent à s’animer timidement. Le sujet principal des discussions après la longue torpeur de la journée de fournaise : «Machakel» pour qualifier pudiquement les «problèmes» à Bordj Badji Mokhtar, à 650 km de pistes plein sud.

Comme pour conjurer l’éventualité de la contagion des violences. Mais rapidement, les détails sordides de la violence prennent le dessus. «On a coupé des seins aux femmes», «ils ont brisé les mains à un jeune», «c’est comme on voit en Egypte, du feu partout», «les vols et les agressions touchent tout le monde, même les familles les plus démunies», «des 4x4 de civils armés sont venus de Tam en renfort». Les rumeurs, les bruits et la fureur des affrontements qui remontent de BBM sont terrifiants.

Les habitants de Reggane ne croiraient pas cet élu de l’APC qui tente de nous tranquilliser : «Mais Bordj c’est loin, très loin !» Pas aussi loin que ça, au vu du défilé des jeunes arrêtés à BBM et traduits devant le procureur au tribunal de Reggane. Des jeunes aux traits tirés, traînés par les bras par des gendarmes au visage fermé et fatigué. Pas aussi loin que ça, au vu des voyageurs bloqués dans les deux stations de bus et de 4x4 des clandestins attendant, en vain, un moyen de transport pour regagner Bordj.

Pas si loin que ça, quand, dans le quartier précaire d’Ennadjat, à la sortie de la ville, où cohabitent Touareg et Barabiche, se regardent en chiens de faïence avec pleins de ressentiments encore tus et une extrême méfiance qui ne s’est pas (encore ?) mue en une extrême violence.

Exactions

«On ne dort plus sur nos deux oreilles, confie, inquiet, un fils de ce quartier. Avec ce qui se passe “en bas“, tout peut arriver ici, et ce sont toujours les innocents et les plus pauvres qui le paient cher.» Les habitants de Reggane vivent donc dans un climat lourd, balayé par les pires rumeurs d’exactions et l’inquiétude de savoir des proches dans le dénuement le plus total. Plus de nourriture à Bordj, plus de transport, ni de médicaments, ni de commerces, ni de sécurité surtout. «C’est incroyable ce déchaînement de violence», confie Ahmed, cadre dans une entreprise publique, juste après avoir reçu l’appel d’un proche l’informant du décès de sa grand-mère.

«Elle est partie dimanche avec son fils et ses petits-fils pour Bordj pour prendre des nouvelles de sa famille quand des jeunes ont arrêté le véhicule à l’entrée de BBM et tabassé les hommes. Elle souffrait d’hypertension, elle n’a pas résisté au choc», raconte-t-il en ponctuant ses phrases par un fataliste «la hawla wa la qowata illa billah». Cette violence, Mokhtar, le directeur par intérim de l’hôpital de Reggane, a aussi ressenti son onde ravageuse. Son visage jovial s’assombrit lorsqu’il décrit l’état des blessés transféré d’urgence de BBM que son hôpital prend en charge : «Les blessures témoignent de l’utilisation de toutes sortes d’armes blanches : couteaux, sabres, haches, barres de fer... Je n’oublierai jamais l’un des gars blessés.

Un ou plusieurs assaillants se sont acharnés avec un couteau sur sa tête... Il avait le crâne criblé de trous, mais il a été sauvé in extremis parce l’hémorragie a créé une compression du sang dans le cerveau... C’est d’une telle violence.»

A l’origine des violences

Victime innocente d’un crime gratuit ou voleur récidiviste ? Lensari Ghali Ben Ameq, Targui de 24 ans, dont la mort violente en début de semaine a déclenché les violences à Bordj Badji Mokhtar (2200 km au sud d’Alger), reste otage des deux versions de ce crime servies par les belligérants touareg et barabiches, en attendant l’issue de l’enquête judiciaire qui tarde à donner ses résultats. «Ce n’est pas le moment d’attiser le feu, nous dit un responsable local. Nous faisons le nécessaire pour l’enquête.

Pour le moment, il faut maintenir le calme.» Lensari Baba Ahmed, entrepreneur, la soixantaine, responsable du quartier Houari Boumediene qui a connu de violents affrontements, et oncle de Lensari Ghali Ben Ameq, s’impatiente : «Nous sommes pour le retour au calme et pour la réconciliation, à une seule condition : la loi doit être appliquée à tous.» En cachant son visage derrière son chèche, comme le veut la tradition des Touareg, il poursuit : «Mon neveu n’avait pas trouvé de travail après son service militaire, à part une embauche de trois mois à Kahrakib.

Ce n’est ni un voleur ni un violent.» Selon lui, son neveu a été renversé intentionnellement par un 4x4 lundi matin. Il est décédé à la polyclinique de BBM vers 2h ou 3h du matin. Mardi, beaucoup de gens sont venus à la maison du défunt au quartier Houari Boumediene pour psalmodier des versets du Coran sur sa dépouille et préparer l’enterrement. «Mais les Arabes ont cru que ce rassemblement préparait des actes de vengeance. C’est à ce moment-là que ça a éclaté entre les jeunes des deux côtés. Des mots échangés, des cris, des pierres, et c’était la catastrophe. Très vite.

Nous, les plus vieux, on a tenté de les raisonner, mais c’était parti, poursuit Baba Ahmed. Les gendarmes étaient dépassés, les attaques et les contre-attaques se propageaient de rue en rue, de quartier en quartier pendant quatre jours.» Cette version, Mohamed Ali Berbouchie, la trentaine, président de l’Association des jeunes universitaires de la ville, la rejette en bloc. «C’est complètement faux ! Un jeune Targui a été attrapé en train de voler dans un magasin. Il a été remis aux gendarmes qui l’ont relâché après intervention du P/APC, lui-même targui.» Mohamed Ali, qui a participé à toutes les rencontres de réconciliation depuis une semaine, affirme que le jeune est ensuite parti menacer la victime du vol et a été tué par un jet de pierre «alors qu’il brandissait un sabre d’une voiture.

Les Touareg ont ensuite commencé à attaquer les magasins des Arabes». «Quelles que soient les versions des uns et des autres, relativise Tayeb, 40 ans, fonctionnaire, la vérité, c’est qu’il y a eu un vol et une terrible vendetta. Moi j’en veux à tout le monde, des deux côtés.» Et il sait de quoi il parle : «Fils d’un père targui et d’une mère arabe, je peux vous assurer qu’on n’a jamais eu ce genre de problèmes, à l’exception de quelques vieilles querelles qui remontent parfois à la surface, comme ce fut le cas au moment où la crise a éclaté au Nord-Mali».

A moins de 20 km, la frontière avec le Mali n’existait presque pas avant les mesures draconiennes de l’ANP. Touareg et Arabes vivaient des deux côtés de la frontière depuis le commerce triangulaire et les caravanes de sel. «Les deux communautés ont toujours été en compétition dans plusieurs domaines, que ce soit le commerce, légal ou pas, ou l’influence dans le grand Sahara», explique un universitaire de BBM.

Cette guerre de positions s’est accentuée avec le conflit au Nord-Mali et au gré des alliances de certains membres des deux communautés avec des mouvements terroristes. «Les Arabes, par exemple, sont très hostiles aux idées indépendantistes du MNLA targui et il n’est pas rare que des accrochages armés ou des prises d’otages aient lieu au Nord-Mali entre les deux tribus», poursuit-il, rappelant que Bamako a toujours maintenu ces tensions pour se prémunir d’une union entre des Touareg, très politisés, et des Barabiches, leaders du commerce dans la région.

«Le pire, c’est qu’il existe des extrémistes des deux côtés, qui importent ces idées dans leur propre foyer. Les plus jeunes entendent ce genre de discours, et c’est ce qui maintient un ressentiment aussi ancien, regrette Tayeb. Il ne s’agit pas de calmer les choses temporairement, il faut que l’Etat impose la citoyenneté comme première règle, et non pas l’appartenance tribale. Qui a gagné maintenant ? Que voyez-vous à Bordj ?

A part les bébés sans toit et sans lait, des familles terrorisées réfugiées dans le désert, des maisons incendiées, des tombes creusées à la hâte...» Lensari Ghali Ben Ameq (Baba Ahmed) martèle : «Nous voulons la réconciliation, la vraie, celle qu’impose la loi pour tous et qui n’épargne ni le baron de la contrebande ou de la drogue, ni les copains des officiers de BBM.».

Adlène Meddi

Il a dit :

La situation est maîtrisée. Elle est en train de retrouver son cours normal.
Daho Ould Kablia

Grand Sud : renforcement des capacités militaires aériennes

Les autorités ont entamé le réaménagement et l’agrandissement de la base aérienne de Tamanrasset pour en faire l’une des plus importantes du territoire avec une plus grande capacité de projection de force dans des délais record. Le ministère de la Défense nationale a également décidé de multiplier, à travers la bande frontalière avec le Mali, le Niger et la Libye, les pistes d’atterrissage pour les hélicoptères de combat et de transport.

En parallèle, le MDN a entrepris de nouvelles mesures pour la sécurisation des aéroports du Sud contre d’éventuelles attaques terroristes. Ainsi, la sécurisation des abords extérieurs de ces aéroports sera dorénavant assurée par l’ANP, alors que la police garde ses prérogatives dans l’enceinte de ces infrastructures. Aziz M.

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