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Wednesday 15 May 2013

« Alyah » en Israël : aboutissement et désillusion des juifs français

Quitter la France pour vivre en Israël, une décision prise chaque année par des centaines de juifs. Fuite ou volonté ? Sionisme, perspectives d’emploi, sentiment d’antisémitisme… autant de raisons de dire bye-bye à la République française.


Anniversaire d’Israël à l’école juive Lucien de Hirsch, dans le XIXe arrondissement de Paris (Darnel Lindor/Respect Mag)
LA LOI DU RETOUR
Loi de l’Etat d’Israël, votée par la Knesset le 5 juillet 1950, stipulant que tout juif a le droit de venir s’installer en Israël en tant qu’immigrant.
Aller simple pour Tel-Aviv. Chaque année, environ 2 000 juifs quittent l’Hexagone pour faire leur « alyah », montée en hébreu. Une migration qui, venue des quatre coins du monde, obtient grâce à la loi du retour la nationalité israélienne accordée aux juifs et à leurs descendants souhaitant vivre en « Terre sainte ». Proportionnellement, la France se classe fournisseur numéro un des candidats à l’alyah.

« Israël nous sauvera, pas la France »

Le pied posé en Israël, pour chaque migrant français, une même sensation : celle d’être chez soi. Que sont-ils venus chercher ici que la France n’a su leur donner ? Un pays « de cœur ».
Les juifs du monde, première diaspora – avant que le terme ne désigne toute communauté dispersée à travers le monde –, auraient pour mission de « revenir » en terre d’Israël. « Mon pays, c’est ici », confie Jérémy.
« Si demain les juifs sont de nouveau persécutés, ce sera Israël qui nous sauvera, pas la France. »
En fréquentant une école confessionnelle ou un mouvement de jeunesse, la plupart des candidats à l’alyah ont côtoyé la vie communautaire juive en France. L’Etat hébreu leur apparaît comme une suite logique. « C’était une évidence, je me suis toujours projeté dans ce pays », se souvient Michel, en Israël depuis sept ans.
Une terre que certains veulent défendre en s’engageant dans l’armée israélienne. « J’étais inquiet pour l’existence du pays », raconte Julien, 24 ans, soldat à Tsahal.
« Il me fallait participer à sa survie car, aujourd’hui encore, Israël pourrait disparaître. »
Jérémy, lui, a eu son déclic durant la seconde Intifada.
« J’ai eu envie de partir, pour mieux comprendre le conflit et les raisons pour lesquelles on nous détestait autant en France. Je voulais savoir d’où je venais et être en capacité de défendre Israël. »
Et là intervient l’Agence juive... Cet organisme semi-gouvernemental a pour mission d’encourager et d’aider les juifs de la diaspora à s’installer en Terre promise. Du coup, les programmes courts et gratuits foisonnent pour offrir une expérience israélienne aux jeunes juifs du monde. Et achever de les convaincre.
Une fois leur décision prise, ces « olim » (immigrés) bénéficient d’avantages : cours d’hébreu et études supérieures gratuits, aides au logement, réduction d’impôts... Toutefois, depuis deux ans, un changement significatif de politique a lieu au sein de l’Agence juive. L’organisme préfère désormais reléguer l’alyah au second plan. « La vraie préoccupation est de lutter contre une assimilation qui, en France, coupe les juifs de la vie communautaire », explique Arie Abitbol, ancien émissaire de l’Agence juive.
« Notre nouvelle mission est de renforcer l’identité juive en diaspora en faisant baigner les jeunes dans des milieux juifs. Après ça, ils partiront d’eux-mêmes en Israël ! »
Dans cette vision, l’alyah viendrait naturellement concrétiser et finaliser l’aboutissement d’un processus identitaire...

Un avant et un après Intifada

Si le sionisme constitue une motivation idéologique de longue date, il suffit parfois d’un déclic pour abandonner son pays natal. « Personne ne quitte la France parce qu’il souffre. Certes, il y a un malaise identitaire mais on ne part pas à cause de l’antisémitisme », affirme Ariel Kandel, directeur de l’Agence juive en France.
Il n’en demeure pas moins que ces migrations ont connu un pic au début des années 2000, au moment de la seconde Intifada. « Impossible de vivre dans un pays avec une population et des médias hostiles à Israël », s’insurge Charlotte, 25 ans, en plein processus d’alyah.
Surtout lorsque, selon certains, l’antisionisme devient source d’antisémitisme. « Vivre en Israël permettra à mes enfants d’éviter l’école laïque en France », explique Jérémy.
« J’en ai trop souffert. Pendant la seconde Intifada, il ne se passait pas une journée sans que je me batte. »
Avec cette nouvelle vague de conflits au Moyen-Orient, un palier aurait été franchi en matière d’antisémitisme... et de départs vers Israël. Dans les deux cas, les chiffres des agressions ne sont jamais retombés au niveau d’avant cette période. « Avant les années 2000, on était à 800-1 000 olim par an », explique Ariel Kandel.
« Durant la seconde Intifada, il y a eu un grand pic de 3 000. Maintenant, la moyenne est autour de 2 000 départs par an. »
Un avant et un après Intifada... Pas un hasard donc si, en 2004, le premier ministre israélien Ariel Sharon profite de ce moment pour convaincre les juifs de sauter le pas.
« Si je devais m’adresser à nos frères de France, voilà ce que je leur dirais : immigrez en Israël aussi vite que possible. »
Une phrase dénoncée par de très nombreuses voix, juives et non juives. Tout en tombant à point nommé dans cette période désagréable pour la communauté. « Avec le meurtre d’Ilan Halimi, mon envie s’est confirmée : il fallait partir », raconte Julien.

« Ici, je peux tomber amoureuse »

Certains se sentent constamment ramenés à leur judaïté. Ils ne veulent plus être des « juifs de France » et préfèrent vivre complètement « juifs parmi les juifs » pour ne plus être uniquement vus comme tel. « En France, je suis juif marocain. Ici, je suis à ma place », sourit Nathan. D’autant qu’une partie de la communauté juive française tend à se sanctuariser pour éviter les mariages mixtes. Un problème que Claire a préféré contourner.
« Je suis restée deux ans et demi avec un non juif. Trop difficile. Ici, au moins, je ne prends pas ce risque et donc ne m’empêche pas de tomber amoureuse ! »
D’autres encore ont choisi une voie plus rationnelle, rejoignant Israël comme ils seraient allés ailleurs. « Les jeunes sont plus regardants qu’avant. Aujourd’hui, nous avons affaire à une alyah pragmatique », reconnaît Arie Abitbol. A la recherche d’une meilleure qualité de vie, ils se tournent vers un pays jeune avec une forte croissance... et une météo plutôt accueillante.
« En France, tout est gris, le marché de l’emploi est bloqué », poursuit Claire. Avec un taux de chômage à 5% en 2011 et d’excellents classements pour ses universités, Israël attire les jeunes juifs de France en quête de perspectives d’enseignement et d’emploi. Des arguments qui ont convaincu près de 70 000 Français y résidant aujourd’hui.

Un Français sur cinq rebrousserait chemin


La une du numéro 36 de Respect Mag, « 100% juifs de France »
A l’inverse de l’alyah, la « yerida » (descente) concerne le départ des juifs d’Israël. Un Français sur cinq rebrousserait chemin. En cause : le manque d’intégration sociale et les difficultés économiques. Un « fossé culturel » observé par de nombreux olim compliquerait leurs rapports avec les Israéliens.
Après cinq années passées en Terre sainte, Olivier a préféré rentrer dans son pays natal.
« Je pensais trouver des juifs, mais j’ai trouvé des Israéliens. Nous n’avons pas la même éducation, je ne traînais qu’avec des Français. Je me sens plus proche d’un Français non juif que d’un Israélien juif. Finalement, je me suis aperçu que j’étais français avant d’être juif. »
Paradoxalement, la fuite d’une communauté entraîne la formation d’une autre, celle des Français en Israël, dont il est difficile de sortir. « On se sentait plus étrangers qu’en France », raconte David.
« Dès qu’on ouvrait la bouche, on était vus comme français. Impossible de s’intégrer. »
RESPECT MAG, « 100% JUIFS DE FRANCE »
92 pages d’interviews, enquêtes, portraits, analyses pour aborder le sujet « juifs de France » de manière totalement décomplexée et assumée. Et pour comprendre en quoi l’histoire et les parcours des juifs de France nous en disent long sur l’expérience minoritaire en France : « intégration », « diversité » ou « assimilation », visibilité, organisation communautaire, lutte contre les stéréotypes, enjeux du vivre et faire ensemble...
Avec Esther Benbassa, Pascal Boniface, Jean-Christophe Attias, Richard Prasquier, Sophie Ernst, Yvan Attal, Médine, Jonathan Hayoun, Ofer Bronchtein, Pauline Bebe, Samuel Ghiles-Meilhac, Bariza Khiari, Marc Knobel, Vincent Geisser...
Ses enfants, en revanche, ont réussi leur alyah. Question d’âge, selon lui.
« Quand je suis parti à 45 ans, je savais ce que j’avais à perdre. Je quittais mon commerce pour toucher le smic israélien, ridiculement bas à l’époque. »
De petits salaires pour une vie chère... « L’alyah est un sacrifice financier. Nous sommes habitués à une protection sociale élevée en France », rappelle Ariel Kandel.
D’autant que la plupart des olim repartent de zéro en arrivant. Une nouvelle langue ajoutée à l’absence d’équivalence pour leurs diplômes conduisent certains à se contenter de petits boulots. « J’avais envie d’une carrière, d’un appart’ », explique Jérémy.
« J’aspire au schéma français. En Israël, tu peux encore être en coloc’ à 35 ans, avec un petit job, et claquer ton argent le week-end à Tel-Aviv. »
Il lui a fallu traverser 3 000 km pour que la France et sa diversité lui manquent.
« Le multiculturalisme entre juifs ne m’a pas suffi. Je me suis aperçu que j’aimais être un juif en diaspora. On est différents, on a quelque chose à apporter à la société. En Israël, cette particularité m’a manqué. »
Article extrait du nouveau numéro de Respect Mag « 100% juifs de France », en kiosque et sur RespectMag.com.

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